lundi 22 janvier 2024
Au lendemain du « Sommet pour un nouveau pacte financier » (NPF), la Plateforme Française Dette et Développement s’interrogerait déjà sur le manque d’ambition du Sommet et le décalage de vision et de sentiment d’urgence entre les pays riches du Nord, France en tête, et les pays du Sud dans un contexte de crises climatique et de dette sans précédent. Six mois après ce sommet, la situation des pays du Sud s’est-elle améliorée grâce aux engagements pris lors du Sommet de Paris ? Le Sommet a-t-il au moins en partie permis aux pays du Sud de ne « plus avoir à choisir entre la lutte contre la pauvreté et la lutte contre le changement climatique » ? La réponse est non, pire la situation semble encore s’être dégradée.
L’annonce de l’accord de la restructuration de la dette extérieure zambienne par le Cadre Commun avait été finalement la seule réponse concrète (et médiatique) de la France quant aux critiques de manque d’ambition sur le sujet de la dette et face aux demandes d’annulations alors pourtant poussées par de nombreux pays du Sud (le Kenya et le Tchad en tête) et les organisations de la société civile (dont la PFDD). Cependant, cet accord en Cadre Commun ne concernait que les créances bilatérales (prêts d’Etats à la Zambie) et son application était conditionnée au fait que la Zambie réussisse à négocier un accord en des termes au moins aussi favorables auprès de ses créanciers privés (banques, fonds de pension, d’investissement…etc.).
En juillet dernier, nous rappelions déjà le besoin de garantir la participation du secteur privé aux restructurations dette en adoptant des législations dans toutes les juridictions concernées qui exige que les prêteurs privés se conforment aux accords d’allègement de la dette convenus au niveau international. Or, l’absence de volonté politique de contraindre les privés fait qu’aujourd’hui l’accord pour la Zambie n’a toujours pas pu être appliqué en raison des créanciers privés, détenteurs d’eurobonds, qui n’ont pas fait un effort comparatif aux créanciers publics dans leur accord avec le pays d’Afrique australe qui avait été le premier à faire défaut sur sa dette après le début de la pandémie de Covid-19.
Ainsi, depuis juin 2023 et l’annonce au Sommet, la dette zambienne n’a toujours pas été restructurée. Résultat, la restructuration est toujours retardée, entravant encore aujourd’hui les investissements nécessaires et augmentant le coût de la vie pour la population selon le Ministre des Finances Situmbeko Musokotwane. Une nouvelle fois, une mesure ambitieuse était mise sous silence par des pays du Nord soucieux de ne pas froisser des acteurs du secteur privé, comme souvent ne prenant pas leur part d’effort dans les restructurations de dette des pays du Sud. Ces mêmes acteurs privés qui viennent de pousser l’Ethiopie au défaut de paiement en refusant une proposition du gouvernement portant sur la restructuration d’un eurobond d’un milliard de dollars. Alors que le pays avait demandé la restructuration de sa dette extérieure auprès du Cadre Commun du G20 depuis début 2021.
Un Cadre Commun qui n’a connu que très peu de demandes de restructuration malgré les besoins de par la pression des créanciers privés et de l’IIF, menaçant les pays candidats à une restructuration de se voir exclure des marchés et leur notation de dette souveraine dégradée par les agences de notation.
Une situation symptomatique du Sommet et de ces suites. En effet, on avait pu y constater le décalage entre, d’un côté une volonté des pays riches de réformer et d’améliorer l’architecture financière internationale, de l’autre les appels répétés des pays du Sud de transformer de manière urgente et structurelle cette même architecture, créée et dominée par les pays du Nord.
Au Sud, 54 pays en crise de la dette, 62 pays dépensant plus pour assurer le service de leur dette que pour leur système de santé (contre 34 il y a 10 ans) et globalement des dépenses liées au service de la dette cinq fois supérieures aux dépenses pour lutter contre la crise climatique. Pendant ce temps, des pays du Nord ne jurant que par leur propre diagnostic de la situation : les pays du Sud manquent de liquidités et d’investissements. Une logique que l’on retrouve dans le fait qu’une majorité de financements contre le changement climatique est actuellement fournie sous forme de prêts (71% du financement public du Nord en 2020 selon l’OCDE).
Contrairement aux affirmations du FMI (bases de l’argumentaire des pays riches pour ne pas aller vers des mesures plus ambitieuses) qui se refuse de reconnaître une crise systémique de la dette qui sous-tendrait une réaction systémique d’annulations de dette (et non au cas par cas par des rééchelonnements de dette), il suffit de creuser au-delà des indicateurs utilisés par le Fonds pour comprendre l’urgence de la situation. Dans une étude parue en octobre 2023 par Development Finance International on peut voir que le service de la dette représente en moyenne de 7,6 % du PIB pour tous les pays, 8,3 % du PIB pour les pays à faible revenu et 8,9 % du PIB pour les pays d’Afrique subsaharienne.
Pour les pays qui avaient bénéficié de l’Initiative Pays Pauvres Très Endettés (IPPTE), cela représente bien plus du double des 3,7 % du PIB qu’ils payaient au titre du service de la dette en 1996, avant que l’initiative ne soit conçue pour réduire massivement et collectivement le fardeau de leur dette. Ces niveaux de service montrent que les pays à faible revenu et les pays africains en particulier sont confrontés à la pire crise de la dette qu’ils n’aient jamais connue.
C’est pourquoi les organisations de la Plateforme Française Dette et Développement (PFDD) souhaitent de nouveau rappeler que des mesures conjoncturelles de faible ampleur comme la réallocation des DTS, la promotion de clauses de suspension de dette en cas de catastrophe naturelle ou encore de mécanismes de conversion de dette ne sont pas suffisantes pour résoudre la crise systémique de la dette que nous vivons actuellement avec des paiements pour le service de la dette externe des pays du Sud estimés a atteint le niveau record de 443,5 milliards de dollars en 2022 selon la Banque mondiale, avec une augmentation prévue de 10 % pour tous les pays en développement au cours de la période 2023-2024, et de près de 40 % pour les pays à faible revenu. Alors que dans le même temps, les pays en développement et émergents ont besoin de 2 000 milliards de dollars par an d’ici 2030 pour atteindre leurs objectifs environnementaux.
La Banque souligne qu’en 2022, le service de la dette externe d’une centaine de pays dits « à revenu faible et intermédiaire » a atteint le niveau record de 443,5 milliards de dollars. « Les coûts du service de la dette publique et garantie par l’Etat devraient augmenter de 10 % pour tous les pays en développement au cours de la période 2023-2024, et de près de 40 % pour les pays à faible revenu », indique le chef économiste de la Banque mondiale.
Sans oser parler de crise systémique et donc dépasser le cadre des restructurations de dette pays par pays et juste pour “remettre les pays à flots sans leur permettre de nager”, les pays du Sud ne pourront dégager les investissements endogènes nécessaires pour lutter contre la crise climatique (comme l’a encore rappelé le président sénégalais, Macky Sall, lors de la COP28). Il est plus que jamais urgent d’écouter les dirigeant-e-s et les citoyen-ne-s des pays du Sud et de mener une véritable refonte de l’architecture financière internationale, notamment sur les questions d’endettement. La 4e conférence internationale sur le Financement du Développement qui vient d’être annoncée à l’ONU pour une tenue en 2025, dix ans après la dernière à Addis-Abeba, sera un moment décisif dans un processus, où, cette fois, contrairement aux Sommets organisés et menés par les pays les plus riches, chaque pays aura une voix égale dans les négociations.
C’est pourquoi, la PFDD tient à alerter ici que la crise est déjà là et affecte durablement les populations. Aujourd’hui encore ce sont les populations de ces pays en crise de la dette qui en subissent les conséquences. L’impact sur les femmes étant encore plus important comme on a pu le voir au Pakistan. En effet, une évaluation officielle des inondations de 2022 montre que l’accès limité aux programmes de protection sociale, aux abris et aux soins de santé affectera probablement de manière disproportionnée les femmes, les enfants, les personnes handicapées et les réfugiés et exacerbera les inégalités existantes entre les hommes et les femmes. Un exemple du cercle vicieux entre changements climatiques, endettement insoutenable et augmentation des inégalités, notamment de genre.
Ainsi, il est plus qu’urgent de voir émerger des initiatives internationales inclusives et de grande ampleur, non sapées par les pays du Nord, au risque de voir la crise de la dette se transformer en crise du développement, creusant encore plus les inégalités dans un monde devant faire face aux défis du changement climatique. Alors qu’Emmanuel Macron expliquait il y a six mois qu’il ne faut pas que les pays aient à « choisir entre la réduction de la pauvreté et la protection de planète », répondons-lui, comme nous l’avons fait en amont et pendant le Sommet de Juin, qu’il n’y a pas de justice climatique sans justice de la dette passant notamment par :
Contact : Mathieu Paris – Coordinateur de la Plateforme Française Dette et Développement
m.paris@ccfd-terresolidaire.org / +336 65 03 72 86
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