vendredi 21 juillet 2023
Quel bilan au lendemain d’un Sommet où la France promettait de révolutionner les institutions de Bretton Woods et d’embarquer les pays du Nord et du Sud ensemble sur le chemin d’une nouvelle architecture financière internationale pour ne « plus avoir à choisir entre la lutte contre la pauvreté et la lutte contre le changement climatique » ? La Plateforme française dette et développement (PFDD) revient sur cet événement finalement marqué par l’ampleur du décalage de vision et de sentiment d’urgence entre le Nord, France en tête, et le Sud sur fond de crises climatique et de dette sans précédent et sans réponses du Nord.
Par la Plateforme Française Dette et Développement - Juillet 2023
D’un côté, le constat du besoin de réformer et d’améliorer l’architecture financière internationale, de l’autre celui de la nécessité de transformations structurelles de cette même architecture, créée et dominée par les pays du Nord. Voilà, pour résumer, les positions qui se sont faites face lors du Sommet organisé à Paris les 22 et 23 juin dernier avec la présence de 52 pays. Un décalage que l’on retrouve dans le contexte actuel de crise de la dette avec au Sud : 54 pays en crise de la dette, 62 pays dépensant plus pour assurer le service de leur dette que pour leur système de santé (contre 34 il y a 10 ans) et globalement des dépenses liées au service de la dette cinq fois supérieures aux dépenses pour lutter contre la crise climatique. En face, les pays du Nord avec une question récurrente : comment prêter davantage et surmonter une « crise de liquidités » ?
Alors que ce “nouveau pacte financier mondial” était pensé pour recréer la confiance entre le Sud et le Nord et faire face à la crise climatique et la pauvreté dans un cadre consensuel, multilatéral et inclusif pour il n’aura finalement été semble-t-il aucun des trois.
Les pays du Sud, absents de la préparation, revendicatifs durant le Sommet
La préparation du Sommet a principalement eu lieu dans des « Groupes de Travail » réunis à intervalles plus ou moins réguliers depuis le début de l’année. Si la société civile avait pu obtenir le fait d’y avoir deux représentant-e-s du Nord et du Sud (accepté-e-s mais finalement peu écouté-e-s et sans prise en compte des recommandations dans les documents finaux), rapidement le constat fut fait de la faible représentation des gouvernements des pays du Sud. Au sein de ces groupes, principalement des pays du G20 avec seulement un ou deux pays du Sud et des représentant-e-s d’institutions internationales et du secteur privé. Sans grande surprise, les ambitions politiques au sein de ces groupes sont apparues rapidement très faibles et semblent être des propositions faites par la France depuis le début de la préparation et qui ne bougeront finalement que très peu jusqu’à la clôture du Sommet.
Alors qu’une crise systémique de la dette est en cours avec des paiements pour le service de la dette des pays du Sud estimés à 310 milliards de $ pour 2022 , en augmentation de 120 % entre 2010 et 2021 (atteignant des niveaux plus vus depuis plus de vingt ans), aucune annulation de dette envisagée, aucune mesure de régulation des créanciers privés et peu de volonté d’ancrer ces discussions dans un processus onusien, organe bien plus légitime et représentatif pour remettre à plat l’architecture financière internationale qu’un Sommet ad hoc organisé par la France.
Au lieu de cela, sur la question de la dette, la répétition de promesses déjà faites comme la réaffectation de 100 milliards de DTS par les pays riches vers les pays les plus pauvres ou encore la promotion des mécanismes de conversion de dette (debt swaps) et de clauses pour suspendre le service de la dette en cas de catastrophe naturelle pour certains prêts de certains créanciers bilatéraux et multilatéraux. Rien à même de lutter contre la crise de la dette en cours et rien ne permettant aux pays du Sud de sortir de l’obligation de priorisation des paiements de dette au détriment des investissements pour lutter contre la crise climatique, les inégalités et pour assurer les droits humains fondamentaux de leur population. Finalement les débats se sont concentrés principalement sur les manières de prêter davantage aux pays du Sud sans s’attaquer aux causes systémiques de la crise de la dette en cours. Pourtant cela n’aura pas été faute du manque d’alertes par certain-e-s dirigeant-e-s de pays du Sud.
Un nouveau consensus… écrit par le Nord
En effet, durant l’événement lui-même au Palais Brongniart, des pays absents de la préparation des documents d’accords ont cette fois-ci pu participer et souligner le décalage d’ambition avec l’organisation. En coulisses déjà, de nombreuses délégations du Sud exprimaient leur surprise, voire leur mécontentement, d’avoir dû réagir et endosser un texte sur les banques multilatérales de développement à seulement deux semaines de l’évènement. Une frustration et un décalage en termes de priorités se reflétant par certaines prises de positions comme celle du président du Tchad, Mahamat Idriss Deby Itno, n’hésitant pas à interpeller à deux reprises le besoin de geler les dettes si l’on souhaite parler de nouveau départ. Ou encore le président brésilien Lula rappelant que les pays riches ont « une dette historique » sur l’environnement.
Et pourtant… rien de tout ça dans les documents officiels issus du Sommet dont la « feuille de route », fixant les objectifs et les échéances internationales à venir, censée refléter l’état des « discussions » et des « accords » trouvés lors du Sommet.
La crainte d’un véritable échange d’égal à égal dans une situation de crise ?
Une question se pose alors : les pays du Nord craindraient-ils de parler d’architecture financière internationale sur un pied d’égalité avec les pays du Sud ? En effet, durant la préparation, le Sommet même ou encore dans la feuille de route fixant les prochaines étapes, peu de mention aura été faite des processus approuvés par les Nations unies, aucune sur celui du « Financement du Développement » qui pourrait aboutir à une 4e conférence internationale sur le sujet en 2025, 10 ans après Addis-Abeba et où chaque pays a une voix égale dans les négociations.
C’est pourquoi, la PFDD tient également à alerter ici que la crise est déjà là et affecte durablement les populations et qu’il est plus qu’urgent de voir émerger des initiatives internationales inclusives et de grande ampleur, non sapées par les pays du Nord, au risque de voir la crise de la dette se transformer en crise du développement, creusant encore plus les inégalités dans un monde devant faire face aux défis du changement climatique. Alors qu’Emmanuel Macron expliquait qu’il ne faut pas que les pays doivent « choisir entre la réduction de la pauvreté et la protection de planète », répondons-lui, comme nous l’avons fait tout au long de la « consultation » de la société civile en amont de l’événement qu’il n’y a pas de justice climatique sans justice de la dette passant notamment par :
Contact : m.paris@ccfd-terresolidaire.org
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