lundi 12 décembre 2022
La Plateforme Française Dette et Développement regroupe 26 organisations et syndicats français agissant en faveur d’une solution large, juste et durable au problème de la dette des pays en développement.
Dette souveraine, dette publique, ou dette nationale, sont autant de termes pour décrire le montant d’argent qu’un État doit à d’autres entités. Emprunter de l’argent crée une obligation d’allouer des ressources à payer cette dette qui accumule des intérêts (le service de la dette étant la somme, sur une période donnée, du capital arrivant à échéance et des intérêts à payer). La dette peut être intérieure (due à des prêteurs dans le pays) ou extérieure (due à des prêteurs étrangers). Les prêteurs peuvent être publics (multilatéraux et bilatéraux) ou privés (banques commerciales, compagnies d’assurances, fonds d’investissement, fonds de pension).
À écouter les dirigeant-e-s des pays riches et des institutions financières internationales (IFI), l’État devrait gérer sa dette comme une entreprise ou un ménage. Au-delà de rendre tabou l’idée même d’annulation de la dette, cela revient à nier le fait que l’État ne peut pas disparaître, contrairement à un ménage ou une entreprise et qu’il joue, seul, un rôle majeur au profit de de la collectivité et des générations futures. Il investit en effet dans des services sociaux ou dans la transition écologique, à même de garantir le respect des droits humains, notamment économiques et sociaux de sa population. Le recours à des taux d’intérêt insupportables, rendant impossible le financement de réelles politiques publiques garantissant le respect des droits humains de leur population, transforme le remboursement de la dette en véritable outil de domination.
En effet, la dette continue d’être un véritable fléau pour les populations des pays du Sud. Résultat d’une politique d’endettement aussi irresponsable de la part des gouvernements des pays créanciers que de la part de ceux des pays débiteurs, seules les populations des pays débiteurs en assument le coût, au prix de millions de vies humaines. Les pays riches, qui concentrent la grande majorité des richesses du monde, ont une lourde responsabilité dans l’accumulation de cette dette insupportable. Cette situation est aggravée par les conditionnalités économiques, politiques et financières drastiques (privatisations, libéralisations, réduction des dépenses publiques...) imposées par les pays créanciers et les IFI à leurs débiteurs. Ainsi en l’absence de tout critère transparent à l’annulation de la dette, le sort de ces pays est livré au bon vouloir et aux conditions arbitraires de leurs créanciers [1] .
Or, la situation actuelle de « crise de la dette » est pointée du doigt sur la scène internationale depuis les années 2010 alors que l’économie mondiale se trouvait dans une situation encourageant les prêts excessifs des pays les plus riches aux pays les plus pauvres. Cela s’expliquant alors par le niveau relativement bas des taux d’intérêt en Amérique du Nord, en Europe et au Japon et, d’autre part, le besoin élevé de financement des infrastructures dans des pays avec une gouvernance relativement faible. Cette combinaison donna alors lieu à des promesses de rendement pour les investisseurs des pays riches et les risques de défaut de paiement n’étant alors pas proprement considérés au moment d’accorder des prêts, en comptant sur les renflouements du FMI et d’autres acteurs multilatéraux. Cependant à partir de 2015, cette situation allait s’avérer encore plus critique avec la hausse des taux d’intérêt et l’effondrement des prix des matières premières [2].
C’est ainsi qu’aujourd’hui, la crise économique, alimentée notamment par la pandémie et la guerre en Ukraine a, à la fois, mis en exergue une crise de la dette en gestation et des financements insuffisants pour les services sociaux de base dans les pays en développement. C’est dorénavant la guerre en Ukraine qui met en avant l’urgence de traiter la question de l’insoutenabilité de la dette avec la hausse des prix des denrées alimentaires, des carburants et des engrais [3] .
Gérés dans des espaces internationaux où seuls les pays riches créanciers siègent (G7, G20, Club de Paris), les mécanismes de traitement des dettes insoutenables exonèrent les créanciers de leur coresponsabilité dans cet endettement et laissent les pays emprunteurs aux mains de créanciers privés de plus en plus puissants [4].
Une situation plus dramatique que jamais :
L’année 2020, marquée par le début de la crise sanitaire et économique, a vu la plus forte augmentation de la dette globale (privée et publique sauf secteur financier) sur un an depuis la Seconde Guerre mondiale pour atteindre un montant de 226 000 milliards de dollars selon le FMI. Soit une augmentation de 28 points de pourcentage pour atteindre 256 % du PIB mondial [5] [6] .
Côté pays en développement, comme le rappelle le rapport du secrétaire général de l’ONU en juillet 2022 [7] , « depuis 2015, les facteurs de vulnérabilité de la dette des pays en développement ont progressé à un rythme régulier dans un premier temps, puis à une cadence accélérée sous l’effet de la pandémie [menant à un accroissement de] leurs niveaux d’endettement jusqu’en 2019. A partir de 2020 l’endettement causé par la pandémie est deux fois supérieur à celui causé par la crise de 2008 [8]. Selon la Cnuced, les pays en développement devraient avoir besoin de 310 milliards de dollars pour assurer le service de la dette publique extérieure en 2022, soit 9,2 % de l’encours de la dette publique extérieure à la fin de 2020 [9].
Les détenteurs de cette dette ont également évolué. Aujourd’hui, 60 % des dettes publiques des pays du Sud sont détenues par des créanciers privés qui imposent des taux d’intérêt exorbitants (contre 40 % il y a 20 ans).
Enfin, selon Jubilee Debt Campaign les paiements de la dette des pays en développement ont augmenté de 120 % entre 2010 et 2021 et sont plus élevés qu’à tout moment depuis 2001. La plupart des paiements (47 %) seront effectués à des créanciers privés, en particulier à des porteurs d’obligations.
Si les pays à revenu faible ou intermédiaire sont moins endettés par rapport à leur PIB que les pays du Nord, les premiers ont un accès plus restreint aux financements et sont contraints d’emprunter à des taux supérieurs. C’est pourquoi en proportion de leurs économies, le service de la dette (somme que l’emprunteur doit payer chaque année pour honorer sa dette) sera plus important et injuste.
Avec une augmentation de 5,3 % en 2020 pour atteindre 8 700 milliards de dollars de dette extérieure [10] , les pays à revenu faible ou intermédiaire ont dû rembourser 400 milliards de dollars de dettes pour cette seule année 2020
Encore plus inquiétant, plus de la moitié des pays à revenu faible sont en situation de surendettement ou en défaut de paiement selon les derniers calculs du FMI en 2021, soit deux fois plus qu’en 2015, alors qu’ils devront rembourser environ 35 milliards de dollars aux prêteurs officiels bilatéraux et du secteur privé en 2022, selon la Banque mondiale, en hausse de 45 % par rapport à 2020. Si l’on considère l’ensemble du service de la dette publique extérieure – et pas seulement bilatérale et privée, mais aussi multilatérale – de tous les pays à revenu faible et intermédiaire inférieur, la facture s’élève à 120 milliards de dollars.
Ainsi, près de 60 % des pays à faible revenu présentent dorénavant un risque élevé de surendettement ou sont surendettés, soit plus du double par rapport à 2015. 25 % des pays à revenu intermédiaire courent un risque élevé de crise budgétaire. Des chiffres établis avant la hausse en 2022 des cours mondiaux des denrées alimentaires et de l’énergie en 2022 comme on peut les trouver dans le Rapport du Secrétaire général de l’ONU de juillet 2022.
L’impact humain majeur du surendettement :
Le surendettement constitue un obstacle colossal à la lutte contre la pauvreté, les inégalités et le changement climatique et plus globalement à la réalisation des droits humains universellement garantis. La pression actuelle des créanciers sur les pays en développement participe à la priorisation des paiements de la dette ce qui affecte logiquement le budget du gouvernement et sa capacité à fournir, en particulier, des services publics universels de qualité et sensibles au genre ou à investir dans l’adaptation au changement climatique et son atténuation.
En 2020, l’extrême pauvreté a augmenté pour la première fois depuis des dizaines d’années dans le monde. Cela constitue un recul de 30 ans dans la lutte contre la pauvreté dans certaines régions comme l’Afrique subsaharienne. Une situation qui perdure.
Si on prend le cas de l’Afrique, 60 % des pays africains dépensent plus pour le remboursement de la dette que pour les soins de santé [11] et les Nations unies estiment que la moitié des emplois pourrait y disparaître d’ici à la fin de la crise. Concernant le continent africain, selon les chiffres de la BAD présentés par son chef économiste en août 2022, deux tendances émergent : 1) une augmentation du service de la dette : l’équivalent de 18 % du revenu des gouvernements a été utilisé pour le service de la dette en 2020 (30 % pour 5 pays, plus de 14 % pour 20 autres pays). En avril 2022 sur 38 pays évalués sur leur soutenabilité de la dette, 16 étaient déjà en situation de risque élevé, 15 en risque modéré.
2) le changement de la composition des créanciers en Afrique : la part des créanciers privés a doublé, passant de 17 % en 2000 à 39 % en 2019. De son côté, la dette multilatérale est relativement stable à 32,5 % sur les 20 dernières années mais la dette bilatérale réduit de moitié à 27 % aujourd’hui (dont 48,5 % pour Chine, 15 % pour les États-Unis et 11 % pour France).
Dans le cas du Sahel, une priorité géographique de la diplomatie française, les chiffres sont tout autant saisissants. Pour les six pays sahéliens francophones (le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Sénégal et le Tchad), le remboursement annuel de leurs dettes est équivalent à 140 % des sommes allouées à leurs budgets de santé. Pour les pays du Sahel, la simple annulation des remboursements de 2021 pourrait permettre à 20 millions de personnes d’avoir accès aux soins de santé primaires.
Des décisions insuffisantes
L’Initiative de suspension du service de la dette – ISSD - adoptée en urgence par le G20 au printemps 2020 avait pour ambition d’alléger ce fardeau et d’éviter qu’un grand nombre de pays ne se trouve en défaut de paiement. Mais elle s’est limitée à un simple report d’échéances, sans annulation ou restructuration durable de la dette, et suspendant les remboursements des seuls créanciers publics bilatéraux, sans que les banques multilatérales ou les créanciers privés ne soient mis à contribution. De plus, l’initiative ne concernait pas les pays à revenu intermédiaire [12] dont beaucoup faisaient déjà face à des situations dramatiques (le Sri Lanka par exemple n’était pas éligible à l’initiative).
La Banque mondiale estimait ainsi que les 47 pays bénéficiaires de l’ISSD auraient pu « économiser » jusqu’à 23 milliards de dollars entre mai 2020 et décembre 2021. Cette somme représentait moins de 40 % de leurs échéances sur la période. Au final, ce répit temporaire n’a permis que le report le remboursement d’environ 13 milliards de dollars, certains pays n’ayant pas demandé à en bénéficier, notamment de peur de la réaction des agences de notation et des marchés financiers.
Dans le même temps, ils ont versé 17,5 milliards de dollars aux banques commerciales et aux fonds d’investissement, et autant aux créanciers publics multilatéraux. D’ailleurs, l’endettement des 77 pays éligibles au moratoire du G20 (ISSD) a progressé en 2020 de 12 % (860 milliards de dollars) [13] .
Seuls 47 des 73 pays éligibles ont demandé à en bénéficier et selon une étude d’Eurodad, cette initiative n’a couvert que 1,6 % de la totalité des remboursements dus par les pays en développement en 2020.
Cet allègement n’a même pas eu un effet bénéfique marginal car il a tout simplement été neutralisé par la baisse des recettes de ces pays.
En d’autres termes, le report des échéances des créanciers bilatéraux et les nouveaux financements d’urgence accordés par le FMI ne constituent qu’une réponse partielle et dans le cas de certains pays très vulnérables permettent tout juste d’éviter le défaut de paiement... et donc de rembourser leurs créanciers privés.
Le 1er janvier 2022 l’ISSD a officiellement pris fin, le paiement des sommes dans un premier temps suspendu va donc rapidement accroitre la situation d’asphyxie d’ores et déjà connue par de très nombreux pays en développement
C’est justement compte tenu de cette situation qui risque de perdurer que le G20 a dévoilé le 21 novembre 2020 un « Cadre commun de traitement de la dette ». Mais, une fois de plus, cet instrument paraît totalement inadapté. Les 20 principales économies de la planète ne prévoient d’annulations que de manière exceptionnelle, préférant des rééchelonnements.
Dans ce nouveau cadre les créanciers privés ne sont une fois de plus pas contraints de mettre en place de telles mesures. La responsabilité repose exclusivement sur les pays les plus pauvres qui, une fois les décisions d’allègement officialisées, devront tenter de renégocier créancier privé par créancier privé leur dette dans les mêmes conditions.
Le cadre actuel fait le choix de restructurations au cas par cas, et avec chacune des catégories de créanciers séparément. Cette approche fragmentaire va donc s’avérer longue et ignore le besoin d’un allégement massif et immédiat pour permettre aux pays en développement de répondre aux besoins urgents de leur population et aux défis du changement climatique. D’autant plus que les pays n’osent pas demander une restructuration de leur dette via le Cadre Commun de par la pression des créanciers privés et de l’IIF, menaçant les pays candidats à une restructuration de se voir exclure des marchés et leur notation de dette souveraine dégradée par les agences de notation.
Depuis l’annonce de ce nouveau cadre, aucune négociation n’est pour l’instant arrivée à son terme montrant l’incohérence de cet outil qui une fois encore ne traite pas sur un pied d’égalité les créanciers et débiteurs malgré la gravité de la situation.
Enfin, en août 2021, le FMI a annoncé une allocation générale de droits de tirages spéciaux (DTS) [14] équivalente à 650 milliards de dollars (environ 456 milliards de DTS) afin d’apporter plus de liquidité au système économique mondial. Cependant, les DTS sont distribués aux pays membres en proportion de leur contribution au FMI (qui varie en fonction de leur poids dans l’économie mondiale). La France a reçu par exemple 4 % de l’allocation d’août 2021, les États-Unis 14 % tandis que le Burkina Faso 0,025 %, le Mali 0,04% et le Sénégal 0,07%. Il est primordial que les pays riches réaffectent une partie substantielle de leurs DTS en direction des pays en développement et ce sans que ce soit compensé par des baisses d’APD ou de financement climat.
1. Mécanisme universel de restructuration des dettes souveraines et ONU
• Etablir, dans le cadre des Nations unies, un espace multilatéral équitable, global et transparent pour la résolution des crises de la dette.
• Mettre en place un mécanisme automatique de suspension des paiements de la dette, d’annulation et de restructuration de la dette, couvrant les prêteurs publics et privés, à la suite d’événements climatiques extrêmes, en plus d’un accès immédiat à des ressources non créatrices d’endettement pour les pertes et préjudices.
• Adoption par l’ONU d’une résolution suspendant les poursuites en justice par des créanciers privés contre des États bénéficiant d’une suspension de dette ou d’une restructuration dans le cadre des initiatives lancées par les créanciers bilatéraux.
• Promouvoir un examen ouvert de l’approche de la soutenabilité de la dette, avec les conseils de l’ONU et la participation de la société civile, afin d’évoluer vers un concept de soutenabilité de la dette qui prenne fondamentalement en compte les vulnérabilités environnementales et climatiques, ainsi que les droits humains et autres considérations sociales, de genre et de développement.
À l’attention des autorités françaises : Promouvoir au niveau de l’ONU la mise en place d’un mécanisme universel de restructuration des dettes souveraines.
2. Annulations et restructurations des dettes
• Annuler immédiatement les remboursements de la dette dus jusqu’à fin 2023 y compris toutes les sommes reportées en 2020 et 2021, afin de permettre aux pays d’économiser ces ressources et de les consacrer à la protection de leur population et à des mesures économiques nécessaires. Ces mesures devraient inclure non seulement les pays bénéficiaires de l’ISSD, mais aussi les économies à revenu intermédiaire soumises à une forte pression de la dette.
• Les créanciers publics et privés doivent prendre des mesures immédiates pour mettre en œuvre une annulation inconditionnelle et ambitieuse des dettes insoutenables et illégitimes, afin de permettre à ces pays de prendre des décisions politiques souveraines et participatives afin qu’ils puissent d’honorer leurs engagements vis-à-vis des droits humains et de la protection de l’environnement.
• Pour les dettes nouvellement contractées ou restructurées, les gouvernements et les IFI devraient inclure dans leurs contrats de prêt, et promouvoir auprès des créanciers privés, des clauses conditionnelles liées à la fois au climat et à d’autres chocs sanitaires et économiques exogènes.
À l’attention des autorités françaises :
-* Envisager des restructurations des dettes bilatérales françaises, incluant des annulations sèches de créances et en recourant de façon mesurée aux outils de conversion (type C2D), ces outils n’ayant pas été des réponses suffisantes aux situations d’endettement insoutenable par le passé.
-* Rééquilibrer en urgence la part des dons au sein de sa politique de développement pour se rapprocher de la moyenne des pays du Comité d’aide au développement de l’OCDE.
-* Ne pas comptabiliser en APD les allègements de dettes.
3. La transparence des dettes et des prêts :
• Mettre en place un audit de la dette de tous les pays débiteurs, associant la société civile du pays débiteur à leur demande.
• Les gouvernements du G20 doivent s’assurer qu’un registre de données sur les prêts et les dettes, accessible au public, soit créé puis conservé auprès d’une institution permanente, et comporte le financement requis. La société civile et les parlements et devraient être consultés sur sa constitution afin que les données soient accessibles, normalisées et structurées, et donc facilement utilisables. Les informations doivent être disponibles en anglais et dans la langue principale du pays emprunteur concerné.
Tous les gouvernements et les institutions multilatérales s’engagent à divulguer les prêts qu’ils accordent sur ce registre, et d’y inclure les informations mentionnées ci-dessus.
• L’initiative pour la transparence des industries extractives devrait encourager les sociétés extractives et les gouvernements à également divulguer les prêts accordés aux gouvernements sur ce registre.
• Toutes les législations appropriées, en particulier celles du Royaume-Uni et de New York, doivent introduire l’obligation qu’un prêt accordé à un gouvernement ou avec toute forme de garantie gouvernementale, ne soit exécutoire qu’après avoir été rendu public sur le registre susmentionné, dans les 30 jours suivant la signature du contrat, en y incluant les informations décrites ci-dessus.
À l’attention des autorités françaises : Accroître la transparence de ses encours de créances vis-à-vis de pays étrangers, mais aussi des calendriers de remboursements attendus.
4. Rôles et participation des créanciers privés
• Rendre obligatoire la participation des créanciers privés dans tous les efforts d’allègement de la dette.
• Protéger les pays endettés contre les procédures judiciaires initiées par les créanciers privés. Des investisseurs privés, aussi appelés « fonds vautours », se sont fait une spécialité de saisir les tribunaux pour obtenir le remboursement de leurs créances, y compris lorsqu’un accord de restructuration avait été trouvé avec la plus grande part des créanciers ou lorsqu’ils avaient acquis ces titres de dette à « prix cassés », sur les marchés secondaires. Les gouvernements des principales places financières (notamment en Angleterre et à New York) doivent adopter des législations, qui peuvent s’inspirer de celle adoptée par la Belgique en 2015, pour protéger les pays débiteurs et éviter que des créanciers puissent contourner des mesures contraignantes en s’appuyant sur des décisions de justice. La France, comme les autres Etats du G7 et du G20, doit appeler à l’adoption de législations de ce type.
• Accroître la transparence des portefeuilles de créances privées et rendre public le montant des commissions perçues lors des émissions obligataires. Afin de prévenir le surendettement l’accès à ces informations, aujourd’hui très limité, est nécessaire. Il s’agit aussi pour les citoyen-ne-s de connaître le coût des commissions versées aux établissements financiers pour le placement de leurs titres de dette sur les marchés.
• Veiller à ce que le G20 Finances, le groupe de travail du G7 sur le secteur privé et d’autres forums similaires n’offrent pas un accès privilégié à l’IIF et aux créanciers privés ou aux représentants du secteur financier à leurs groupes de travail, réunions et décideur-se-s ; au contraire, toutes les parties prenantes, en particulier les pays et les représentant-e-s de celles et ceux qui sont touché-e-s par la crise de la dette, doivent y avoir accès et être consulté-e-s. Il faut également que le G20 Finances fournisse des informations publiques sur toutes ses interactions avec les différentes parties prenantes, y compris les courriers et la participation aux réunions ou événements.
À l’attention des autorités françaises : Améliorer la législation française concernant l’encadrement des créanciers privés dans le cadre des restructurations de dette et concernant les fonds vautours. La France doit en effet appeler à rendre obligatoire la participation des créanciers privés dans les initiatives de restructuration et allègement de la dette et empêcher les créanciers à poursuivre en justice un pays débiteur.
5. Réallocation des droits de tirage spéciaux (DTS) :
Concernant l’allocation d’août 2021 :
1. Il est primordial que les pays les plus riches de la planète réaffectent une partie substantielle de leurs DTS – au grand minimum 25% des sommes qu’ils ont perçu – pour fournir un soutien sans dette et sans conditionnalité aux pays qui en ont le plus besoin. Sur les 100 milliards promis par le G20, seuls 36 ont été engagés à ce jour.
2. Veiller à ce que les sommes transférées ne s’accompagnent pas de conditionnalité, en particulier via le nouveau fond du FMI, Resilience and Sustainability Trust (RST). En 2021, plus de 80% des prêts dits « Covid 19 » du FMI à des pays en développement encourageaient ou exigeaient des mesures d’austérité supplémentaires dès cette année.
3. Les DTS réalloués doivent être utilisés de manière transparente, en étroite collaboration avec la société civile pour s’assurer que ces ressources ainsi transférées soient bien utilisées pour réduire les inégalités et améliorer les conditions de vie de millions d’hommes et de femmes qui ne peuvent accéder à des soins de santé, à une éducation ou à un système de protection sociale digne de ce nom
Pour une nouvelle allocation :
• Une nouvelle allocation urgente de 2,5 milliards de DTS
• FMI doit à court-terme mettre en œuvre des allocations régulières de DTS qui ne sont pas liés aux quotas des membres existants et adopter à la place une formule d’allocation basée sur les besoins qui les rend directement à la disposition des pays qui en ont besoin lorsqu’ils en ont besoin.
• S’engager sur l’additionnalité des allocations de DTS avec APD et finances climat sauf si sous forme de dons ou fortement concessionnel.
• Réformer le fonds fiduciaire pour la résilience et la durabilité (RST) du FMI en élargissant les critères d’éligibilité pour inclure tous les pays vulnérables, quel que soit leur niveau de revenu (y compris les pays à revenu intermédiaires qui n’ont pas accès au PRGT) ; en faisant en sorte que les financements du RST soient hautement concessionnels et non liés à l’existence d’un programme du FMI ; en évitant les conditionnalités surtout celles sur la fiscalité et la consolidation du secteur privé ; en procédant systématiquement à des évaluations d’impact ex ante (droits humain, genre, inégalité, climat)
• Développer des alternatives DTS en dehors du FMI
6. Les conditionnalités macro-économiques liées aux prêts
• Au-delà de la participation active des acteurs multilatéraux – en particulier le FMI, la Banque mondiale et la BAD – aux efforts d’allègement de la dette, cela doit s’accompagner de la fin de toutes les conditionnalités macro-économiques qui les accompagnent et qui visent à mettre en œuvre des politiques d’austérité. [15]
7. Cadre commun pour le traitement de la dette au-delà de l’ISSD :
Le Cadre Commun n’est pas une solution, la PFDD est en faveur d’un cadre multilatéral à l’ONU mais concernant le Cadre Commun qui tend à devenir un espace important de restructuration de la dette, celui-ci doit être amélioré immédiatement en :
• élargissant l’accès à d’autres pays vulnérables très endettés,
• accordant des moratoires sur la dette tout au long des négociations de restructuration de la dette pour les créanciers privés ainsi que bilatéraux et multilatéraux,
• clarifiant et faisant respecter la comparabilité de traitement par les créanciers privés,
• engageant une protection législative et un soutien financier aux pays débiteurs qui doivent faire défaut à leurs créanciers récalcitrants, tandis que l’annulation et la restructuration de la dette des autres créanciers devraient se poursuivre. De tels engagements devraient être fournis par le G20, les gouvernements du Club de Paris et les banques multilatérales de développement, ainsi que le FMI par le biais de sa politique de prêts à des pays en situation d’arriérés.
[2] « Etats fortement endettés du Monde 2019 », Erlassjhar & Misereor, Avril 2019. Disponible en ligne : https://dette-developpement.org/IMG/pdf/etats_fortement_endettes_du_monde_2019.pdf
[3] Selon la Cnuced les pays qui semblent les plus vulnérables en raison de la combinaison d’importantes pressions de refinancement et d’un ratio « service de la dette/exportations » élevé sont le Pakistan, la Mongolie, le Sri Lanka, l’Égypte et l’Angola. Trois d’entre eux, le Pakistan, l’Égypte et l’Angola, ont déjà des programmes à long terme du FMI en place. Le Sri Lanka a annoncé faire défaut sur sa dette le 11 avril 2022.
[4] Pour en savoir sur les créanciers privés avec l’exemple des créanciers privés français et leur rôle dans l’endettement des pays en développement, notre rapport publié en octobre 2021 : « Taux d’intérêts financiers, désintérêt humain. Le rôle des institutions financières françaises privées dans l’endettement des pays en développement. » Disponible en ligne : https://www.oxfamfrance.org/wp-content/uploads/2021/10/OXFAM-PFDD-Interets-financiers-desinteret-humains-V8-30p-111021.pdf
[6] 296 000 milliards de dollars avec les sociétés financières (cf. IIF Global Debt Monitor).
[9] https://unctad.org/fr/press-material/lonu-voit-une-deterioration-des-perspectives-de-croissance-mondiale-en-2022-en
[10] https://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2021/10/11/low-income-country-debt-rises-to-record-860-billion-in-2020
[11] https://jubileedebt.org.uk/wp-content/uploads/2020/04/Debt-payments-and-health-spending_13.04.20.pdf
[12] Les pays éligibles étaient les PMA (catégorie ONU) et les pays éligibles à l’IDA de la Banque mondiale
[13] https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/lalerte-du-fmi-et-de-la-banque-mondiale-sur-la-dette-des-pays-pauvres-1354675
[14] « Les droits de tirage spéciaux ou DTS ont été créés en 1969 par le FMI. Conçus pour permettre à ses membres (190 pays actuellement) d’accroître le niveau de leurs réserves de change, ils contribuent à apporter plus de liquidité au système économique mondial. Il ne s’agit pas d’une monnaie classique mais plutôt d’une ligne budgétaire que chaque pays détenteur des DTS peut convertir en argent afin de renforcer ainsi sa propre économie. ». Pour en savoir plus : https://www.oxfamfrance.org/financement-du-developpement/les-droits-de-tirages-speciaux-un-soutien-aux-pays-pauvres/
[15] Le nouvel indice d’engagement pour la réduction des inégalités (IERI) d’Oxfam révèle que 14 des 16 pays ouest-africains prévoient de réduire leurs budgets nationaux d’un montant total de 26,8 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années, afin de combler en partie les pertes de 48,7 milliards de dollars subies en 2020 dans la région, des suites de la pandémie. Et que cette austérité a été encouragée par le FMI, à travers ses prêts Covid-19. Ces mesures d’austérité pourraient déclencher la pire crise des inégalités depuis des décennies, dont les femmes seront particulièrement touchées, en raison de leur très forte concentration dans les emplois précaires et dans le travail de soin non rémunéré. https://www.oxfamfrance.org/rapports/la-crise-des-inegalites-en-afrique-de-louest-lutter-contre-lausterite-et-la-pandemie/
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