mercredi 25 octobre 2017
Si, à première vue, la dette publique semble être une question d’ordre économique ou financier, elle devrait pourtant intéresser les mouvements et citoyens soucieux du respect des équilibres écologiques. Tant au Sud qu’au Nord, la dette est en effet partie prenante de l’assaut contre la nature impulsé par le système industriel capitaliste et qui atteint son paroxysme depuis les années 1950 (la dette financière est d’ailleurs fondamentale pour expliquer le concept de dette écologique). Par conséquent, il est urgent que les divers mouvements écologistes prennent à bras le corps cette question et intègrent le combat contre les dettes illégitimes parmi leurs revendications.
La dette : un outil de pillage
Depuis les indépendances, le mécanisme de la dette a été utilisé pour favoriser l’accès aux différentes ressources naturelles dont regorgent les pays du tiers monde. Dans bien des cas, la raison même de l’endettement était de favoriser l’extraction et l’acheminement de ces ressources, en particulier à travers la construction d’infrastructures diverses (ports, routes, chemins de fer, barrages, mines, centrales électriques à charbon, …). Les prêts de la Banque mondiale visaient ainsi explicitement à « développer » le pays en l’encourageant à exporter ses matières premières [1], le tout justifié par la fameuse théorie des avantages comparatifs de David Ricardo. Suite à la crise de la dette des années 1980, les difficultés financières des pays débiteurs les précipitèrent dans les griffes du FMI, lequel va les contraindre à se spécialiser toujours plus dans l’exportation et la privatisation de leurs richesses afin d’honorer leurs créances. Une gestion durable des écosystèmes n’entrant pas dans les critères de cette institution, « les gouvernements du tiers monde, pour servir cette dette, ont dû extraire encore plus de minerais, abattre plus d’arbres, pomper plus de pétrole, jusque dans les régions les plus reculées » [2]. Bien entendu, tout ceci se fera avec la complicité de classes dirigeantes largement corrompues, telle que le dictateur indonésien Suharto.
« Nous ne devons pas nous casser la tête à propos des dettes, l’Indonésie a encore des forêts pour les rembourser » [3]
Suharto in Franz Broswimmer, Une brève histoire de l’extinction en passe des espèces, Agone, Marseille, 2010, p188.
Les pays endettés seront par conséquent contraints de brader leurs ressources naturelles aux grandes transnationales pour satisfaire le remboursement de la dette [4]. Ainsi, parmi les nombreux arguments qui démontrent l’illégitimité de la dette, le fait qu’elle se trouve au cœur d’un mécanisme de pillage humain et écologique doit être souligné. Le respect de l’environnement restera de ce fait lettre morte dans un contexte de néo-colonialisme dont la dette est une des pièces angulaires.
Loin d’avoir disparue, cette tendance se poursuit au-delà des frontières Nord-Sud puisque les pays européens victimes de la dette sont également encouragés à exploiter les potentialités de leur territoire (gaz et pétrole de schiste, minerais, etc.) pour satisfaire leurs engagements financiers largement illégitimes.
Austérité contre nature
Quelle que soit la région du monde, les plans d’ajustement structurel imposés par le FMI au nom du remboursement de la dette ont aggravé les inégalités, développé la misère et réduit l’accès aux services publics de base à travers les privatisations (engraissant au passage une minorité corrompue et parasitaire). Les répercussions environnementales de ces mesures sont multiples.
En premier lieu, une population grandement précarisée aura davantage tendance à considérer sa vie au jour le jour au détriment d’une vision sur le long terme. La priorité à la satisfaction de ses besoins primaires (nourriture, logement, chauffage, revenus, etc.) peut dès lors se faire en complète contradiction avec une perspective écologique durable [5]. René Dumont dénonçait déjà cette situation en 1986, pointant « la misère rurale comme une cause essentielle de la désertification du Sahel » [6], la coupe des arbres et le ramassage des herbes mortes privant le sol de nombreux nutriments. Plus récemment, en Afrique du Sud, « la privatisation de l’approvisionnement électrique a exclu des millions de logements sociaux du réseau national, contraignant les plus démunis à recourir à des sources d’énergie moins chères mais plus polluantes » [7]. Comme le souligne la géographe Sylvie Brunel, le fait que « deux Africains sur trois n’ont pas accès à l’électricité contraint ces derniers à trouver des solutions aussi peu soutenables qu’insatisfaisantes : lampes à pétrole, télévisions branchées sur des batteries de voiture, groupes électrogènes sales, énergivores et bruyants, feux de bois dispendieux, charbon de bois responsable d’une déforestation accélérée autour des villes et dans les pays pauvres, qui bradent leurs forêts pour les vendre comme combustibles à leurs voisins… » [8]. Le comble du lien entre misère et dégradation de l’environnement est probablement atteint dans le delta du Niger. Dans cette région qui fut encore, il n’y a pas si longtemps, un véritable trésor de biodiversité, la destruction des ressources halieutiques par l’industrie pétrolière a contraint de nombreux pêcheurs à se tourner vers la contrebande du brut pour survivre dans un environnement sans autres perspectives d’avenir. Autre latitude, autre exemple : en Grèce, l’aggravation de la pauvreté suite aux plans d’austérité successifs a entraîné une multiplication des coupes illégales de bois ainsi que la combustion dans les chaumières de matières diverses avec des conséquences troposphériques importantes [9].
Plus généralement, une situation de désarroi économique peut conduire à un désintéressement du tout un chacun pour la question environnementale au profit de la lutte contre le chômage ou la précarité. Le soutien implicite d’une partie significative de la population des États-Unis à l’extraction du gaz de schiste (ainsi qu’à Donald Trump, notoirement climato-sceptique) vu comme source d’emplois et de croissance immédiate, est sans doute une des meilleures illustrations de cette tendance.
De même, la pauvreté forcée de millions de personnes pousse une grande partie de ces dernières à gagner les quartiers insalubres des grandes villes, très souvent dépourvus de politiques d’aménagement du territoire cohérentes et exerçant une pression considérable sur les écosystèmes locaux (absence de systèmes d’évacuation des eaux, construction sur des zones fragiles, accumulation de déchets, etc.). Or, comme Mike Davis l’a montré [10], la prolifération des bidonvilles a été accentuée par les politiques d’ajustement structurel imposées par le FMI au nom du remboursement de la dette.
Un transfert de richesse au détriment du bien-vivre
En outre, dans de très nombreux pays, les montants consacrés au service de cette dette sont souvent considérables et nettement supérieurs à ceux utilisés pour des dépenses sociales et/ou environnementales. Quel que soit le pays, une objection très répandue pour répondre aux partisans de projets d’économie d’énergie, de transports en commun, d’énergies renouvelables, de relocalisation de l’économie et de transition écologique est d’ailleurs le manque de moyens de l’État. De ce fait et à l’instar de nombreux mouvements sociaux, il est primordial que les personnes qui se veulent écologistes se posent la question de la légitimité d’une dette qui encourage une exploitation accrue de la nature et de la main d’œuvre, et qui constitue la plupart du temps un transfert de richesses des budgets publics vers les créanciers, majoritairement des banques et autres investisseurs institutionnels.
C’est en fin de compte l’idée même de dette comme moteur de notre économie qui est à remettre en question. L’endettement [11], fidèle de la sorte au principe de base du capitalisme, suppose en effet (et n’est d’ailleurs soutenable que dans ce cas) une croissance illimitée de l’économie. En cas de récession ou de stagnation, on assiste à ce que d’aucuns nomment l’effet boule de neige, à savoir une spirale d’endettement sans fin brassant toujours plus de milliards de devises (c’est globalement ce qui se passe dans les sociétés occidentales depuis une trentaine d’années). Or, pour des raisons autant structurelles et que de bon sens, la croissance infinie est impossible, ce qui revient par conséquent à condamner nos sociétés à s’empêtrer dans ses contradictions au détriment des peuples et de la nature.
Renaud Duterme est enseignant, actif au sein du CADTM Belgique, il est l’auteur de Rwanda, une histoire volée , éditions Tribord, 2013, co-auteur avec Éric De Ruest de La dette cachée de l’économie, Les Liens qui Libèrent, 2014 et auteur de De quoi l’effondrement est-il le nom ?, éditions Utopia, 2016.
article original sur le site du CADTM : http://www.cadtm.org/Quels-sont-les-impacts
[1] À noter que ces prêts comportaient également une dimension géopolitique importante puisqu’ils permettaient d’empêcher des gouvernements de se tourner vers le bloc soviétique. Lire à ce sujet Éric Toussaint, Banque mondiale, le coup d’État permanent, Paris, éditions Syllepse, 2006.
[2] Franz Broswimmer, Une brève histoire de l’extinction en passe des espèces, Agone, Marseille, 2010, p188.
[3] Ibid., p192.
[4] De l’exploitation forestière et minière en Afrique à l’élevage de crevettes en Asie du Sud, en passant par la production d’agrocarburants en Amérique du Sud, aucun continent n’est épargné par cette tendance productiviste.
[5] Loin de nous l’idée répandue que seuls les riches peuvent avoir une conscience environnementale. De nombreux exemples prouvent que de nombreuses populations démunies œuvrent avec une certaine symbiose avec leur milieu naturel. D’autre part, la plupart des « riches » ont une empreinte écologique individuelle bien plus importante que la moyenne. Sur ce débat, lire Guha Ramachandra et Juan Marinez-Alier, « L’environnementalisme des riches », dans Emilie Hache (dir.), Ecologique politique, cosmos, communautés, milieux, Editions Amsterdam, Paris, 2012.
[6] René Dumont, Pour l’Afrique, j’accuse, Paris, Plon, 1986, p11.
[7] Patrick Bond, « Johannesburg, De l’or et des gangsters », Dans Mike Davis et Daniel B.Monk, Paradis infernaux – Les villes hallucinées du néo-capitalisme, Les prairies ordinaires, Paris, 2008.
[8] Sylvie Brunel, L’Afrique est-elle si bien partie ?, Paris, éditions Sciences Humaines, 2014, p91.
[9] Roxanne Mitralias, « Austérité et destruction de la nature : l’exemple grec. Entretien avec Roxanne Mitralias »
[10] Mike Davis, Le pire des mondes possibles, La Découverte, Paris, 2010.
[11] L’endettement dont il est question est essentiellement public. Cela dit, la partie privée obéit grosso modo à des logiques similaires.
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