samedi 7 juin 2008
Positionnement de la plate-forme Dette & Développement
Lacordaire, le fameux juriste français, disait au XIXe siècle : « Entre le riche et le pauvre, entre le faible et le fort, c’est la liberté qui opprime et c’est la loi qui libère. » Nous pensons que, concernant la dette, la même dynamique est à l’œuvre : la liberté, c’est la loi du plus fort, la loi des créanciers qui opprime les pays du Sud. Le droit international doit primer, le droit international peut libérer les pays du Sud du fléau de l’endettement. C’est pourquoi nous promouvons un droit international de la dette, qui se doit se fixer plusieurs objectifs.
D’abord, il devra protéger les droits fondamentaux dans les pays du Sud. Plusieurs propositions ont été faites à ce sujet ; l’une d’elles consiste à redéfinir ce que l’on appelle la « soutenabilité de la dette » pour prendre en compte le coût de la réalisation des Objectifs du Millénaire, le coût de la réalisation des droits humains fondamentaux pour que jamais le remboursement de la dette n’empiète sur ces dépenses fondamentales. L’accord du G8 signé en 2005 est l’aveu que l’approche de soutenabilité actuelle du FMI est incompatible avec la réalisation des Objectifs du Millénaire. C’est dans cette perspective qu’il faudra progresser. Laurent Fabius a, en 2001, avancé une autre proposition : sanctuariser les dépenses sociales des pays endettés. Une troisième proposition pour protéger ces droits fondamentaux serait de faire valoir la notion juridique d’état de nécessité, que l’on pourrait invoquer pour justifier, de la part des pays endettés, des mesures de répudiation de leur dette ou de cessation de paiement en cas de menace pour la stabilité politique ou sociale due au poids de la dette.
Le droit international devra également clarifier les règles de validité d’un contrat d’endettement. En droit français, le contrat est très encadré. En droit international, concernant l’endettement, il ne l’est absolument pas. Des contrats peuvent se conclure sans le consentement des pays concernés, puisque ce sont des dictateurs qui prennent la décision. Des contrats peuvent être utilisés à des fins autres que celles annoncées (comme dans le cas des « éléphants blancs »). La complicité des créanciers pour ce type de montage frauduleux est possible. La réunion de ces trois éléments nous permet d’utiliser le terme de « dette odieuse ». Pour autant, les pays endettés sont censés continuer à rembourser ces dettes. Nous demandons la reconnaissance de cette doctrine juridique de la « dette odieuse », qui stipule que, dans ces cas-là, la dette doit être reconnue comme nulle et non avenue, puisqu’il s’agit d’une dette personnelle du régime en place et non pas une dette de l’Etat. La question de la lutte contre l’impunité, permettant la restitution des biens volés par les dictateurs, nous semble essentielle. Même la Suisse a commencé à restituer au Nigeria quelques centaines de millions de dollars de fonds placés par le clan Abacha. On sait également que quelques centaines de millions d’euros ont été placées par Abacha et tout un tas d’autres dictateurs africains dans les banques en France. Des mesures en ce sens sont donc à prendre d’urgence. La convention internationale de Merida de lutte contre la corruption, ratifiée en 2005 par la France, y invite, voire y oblige les pays signataires.
Enfin, le droit international devra également définir les implications d’un changement drastique des circonstances d’exécution du contrat, changement indépendant de la volonté du débiteur. La notion juridique de force majeure devrait, selon nous, prévaloir dans des cas comme celui du tsunami, mais également dans le cas d’un effondrement du cours des matières premières quand elles constituent la ressource essentielle des pays. Par ailleurs, on pourrait également se saisir des propositions qui ont été faites notamment par Pierre Jacquet, de l’AFD, et Daniel Cohen, qui suggèrent que, dans des cas comme ceux-là, les prêts contractés par les pays du Sud soient transformés en dons.
Bien évidemment, il faut un cadre pour appliquer ces règles du jeu. Or il ne peut pas, selon nous, être dirigé par les créanciers, mais doit impliquer l’ensemble des acteurs concernés. Nous invitons à la création d’un tribunal international de la dette, dans le giron des Nations unies, et qui s’impose à l’ensemble des acteurs, y compris aux acteurs privés.
Pour créer ce droit international, il nous semble important de convoquer une conférence internationale sous l’égide des Nations unies, qui réunisse les différents pays concernés, débiteurs et créanciers, mais également le secteur privé, la société civile, les experts et les institutions internationales.
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