mardi 22 octobre 2019
Pour que le processus de restructuration des dettes soit plus juste et plus efficace, toutes les parties impliquées doivent être mises sur un pied d’égalité. Il est nécessaire qu’un organe indépendant de tout créancier prenne les décisions.
L’indépendance institutionnelle d’un « intermédiaire honnête » offre la meilleure garantie d’impartialité. Elle renforce la légitimité politique du processus et de ses résultats, en supprimant le conflit d’intérêt qui entache le système actuel. Les créanciers ne peuvent pas demeurer juges et parties.
La création d’un tel organe permettra une prise de décision plus rapide (afin de ne plus intervenir « trop peu et trop tard ») ; d’aboutir à des restructurations plus justes, avec un partage plus équitable des coûts entre parties prenantes, susceptibles de bénéficier d’un meilleur soutien public dans les Etats débiteurs.
Un tel organe pourrait être permanent, placé, par exemple, sous les auspices des Nations unies, ou ad hoc et se réunir à la demande, pour examiner des cas particuliers. Le recours à une médiation avant que soit engagée une procédure d’arbitrage contraignante doit rester possible.
Tout Etat débiteur a le droit d’initier un processus de restructuration. Tout mécanisme de restructuration doit donc permettre aux Etats débiteurs de demander à l’organe indépendant d’initier le processus de restructuration. Dans la phase qui précède le défaut de paiement, ce droit doit bénéficier exclusivement à l’Etat débiteur.
Cette possibilité doit permettre de mettre en œuvre des restructurations mieux ordonnées dans des délais plus opportuns et ainsi de réduire les coûts économiques, politiques et sociaux supportés par les populations lorsque les restructurations tardent à arriver.
Ce droit d’initier la restructuration doit s’accompagner d’une suspension automatique de tous les paiements de la dette extérieure, afin de garantir un traitement équitable des créanciers et d’appuyer les efforts visant à rétablir la viabilité de la dette. Pour assurer sa légitimité, cette suspension devrait être approuvée par l’organe indépendant de restructuration des dettes, et prévoir des conditions transparentes quant à sa durée.
Une suspension automatique des poursuites et des exécutions doit s’appliquer dès qu’une restructuration est annoncée par l’organe indépendant, afin d’éviter des poursuites engagées par des fonds vautours et autres créanciers non coopératifs, qui nuisent aux négociations.
Une telle suspension permet d’assurer un traitement équitable des créanciers et d’appuyer les efforts visant à rétablir la viabilité de la dette en protégeant les actifs des Etats. Elle contribue à des restructurations plus justes bénéficiant d’une légitimité et d’un soutien plus grands, et donc plus durables. Pour éviter la spéculation sur les dettes en souffrance, le montant qu’un créancier peut récupérer par le biais d’un recours en justice, doit être limité au montant payé lorsque la dette a été achetée sur les marchés secondaires.
Afin de garantir une résolution rapide et un traitement équitable des créanciers, tout mécanisme de restructuration doit prévoir le traitement de la totalité du stock de la dette d’un pays en un processus unique.
En mettant fin à la fragmentation des espaces de restructuration, ce principe permet une meilleure efficacité du processus et une réduction des coûts induits par les retards générés par la multiplication des négociations non coordonnées.
Traiter l’ensemble des créances légitimes de manière juste et équitable contribue également à dissuader les créanciers non coopératifs et à prévenir les poursuites agressives des fonds vautours.
Assurer la plus large participation possible au processus de restructuration de la dette permet de donner à l’ensemble des parties prenantes le droit d’être entendues, et renforce la légitimité de l’opération. Ce principe permet la participation des débiteurs, des créanciers mais également des individus/organisations représentant les citoyennes et citoyens des pays endettés, qui –compte tenu de leurs relations avec l’État, sont des requérants/ créanciers indirects et sont directement affectés par les résultats du processus. La procédure de restructuration doit être organisée dans le pays débiteur, et prévoir la participation des citoyennes et citoyens, notamment via des audiences publiques.
Le principe d’une participation inclusive réduit également les risques de traitement inéquitable qui peuvent être engendrés par l’exclusion de certaines parties prenantes, et rend les accords davantage susceptibles d’être respectés par toutes les parties concernées, et donc plus durables.
Afin de prévenir tout conflit d’intérêt, les analyses de viabilité de la dette (AVD) menées pour évaluer la situation économique de l’État et informer les négociations de restructuration, devraient être réalisées par un organisme indépendant. Ces évaluations impartiales doivent se baser sur une multiplicité de sources d’informations, dont des études d’impacts obligatoires sur les droits humains.
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Une évaluation et une vérification impartiales de la légitimité des créances doivent permettre un traitement plus juste des différents groupes de créanciers, et la reconnaissance de la coresponsabilité des prêteurs et des emprunteurs dans le surendettement.
Ce principe doit permettre d’éviter que les populations des États débiteurs soient injustement pénalisées pour les décisions irresponsables de créanciers. Dans ce même esprit de partage des responsabilités, les dettes illégales et illégitimes doivent être annulées. Sanctionner les prêts irresponsables de cette manière incite les prêteurs à faire preuve de responsabilité ex ante, réduit les risques de crises de la dette, et sécurise les ressources des citoyennes et des citoyens ainsi que celles des prêteurs responsables.
Les approches actuelles de la viabilité de la dette, qui se limitent à une analyse très subjective de la capacité d’un pays à rembourser et/ou à contracter de nouvelles dettes, impliquent des jugements politiques lourds de conséquences en matière d’affectation des ressources.
L’évaluation de la viabilité de la dette doit aussi prendre en compte les droits humains et le développement (voir principe 8), afin d’augmenter aussi bien la précision des analyses que l’équité des résultats pour les populations des pays affectés, en équilibrant les besoins de ces dernières et ceux des créanciers. Le but de tout mécanisme de restructuration de la dette doit être de réhabiliter un pays à une position dans laquelle il dispose de l’espace fiscal nécessaire pour répondre aux besoins essentiels de ses citoyennes et de ses citoyens et leur fournir les services de base entravés par le service des dettes en souffrance.
Les opérations de restructuration ou d’allègement ne doivent pas conduire les États à déroger à leurs obligations internationales en matière de droits humains. Ce principe est essentiel pour assurer la durabilité et la légitimité de ces opérations et obtenir des résultats justes pour les populations des pays débiteurs.
Des évaluations de l’impact sur les droits humains (EIDH) tenant compte des questions de genre, doivent être systématiquement réalisées dans le cadre des analyses de viabilité de la dette, afin de ne pas focaliser ces analyses sur des considérations économiques et de prendre en compte l’impact du fardeau de la dette d’un pays sur sa capacité à atteindre les objectifs de développement et à réunir les conditions nécessaires pour la réalisation de tous les droits humains universels.
Les conclusions des EIDH doivent permettre de déclencher les opérations de restructuration ou d’allégement de la dette au moment opportun, et d’orienter la prise de décision, notamment sur la révision des modalités de remboursement, les décotes que les créanciers devront accepter ou sur la distribution des pertes encourues par les différents groupes de créanciers. Les programmes d’ajustement liés à l’allégement et à la réduction de la dette, doivent être conçus dans le respect de ce principe et sous réserve de l’utilisation systématique des EIDH.
Il est essentiel de mettre un terme aux négociations de restructuration ad hoc à huis clos, afin d’assurer la légitimité et l’équité du processus de restructuration, de responsabiliser les prêteurs et emprunteurs irresponsables et que les restructurations servent l’intérêt public et recueillent l’adhésion du public.
Les termes des prêts consentis aux États, ou impliquant toute forme de garantie d’État, doivent être consignés dans un registre public et divulgués avant l’entrée en vigueur du prêt. Cette transparence des prêts doit permettre de renforcer la fiabilité et l’exactitude des analyses de viabilité de la dette, en garantissant la prise en considération de l’ensemble des créances légitimes, et en favorisant ainsi des décisions plus rapides pour lutter contre le surendettement. Elle doit également contribuer à garantir qu’aucun créancier responsable ne soit exclu des négociations de restructuration globales. Des registres des détenteurs d’obligations publiques sont nécessaires pour accélérer la restructuration de la dette et dévoiler les conflits d’intérêts.
Afin de réduire les incitations pouvant fragiliser les restructurations, les parties doivent également être tenues de divulguer toute participation à des contrats d’échange sur le risque de défaut.
Le processus de nomination et de rémunération des conseillers juridiques et financiers qui consultent les emprunteurs souverains, doit également être rendu public.
Les décisions de l’organe indépendant doivent s’imposer aux parties. Un traité international établissant un mécanisme de renégociation de la dette souverain, ratifié par une majorité des États, serait optimal pour lui donner autorité. Cependant, un tel traité ne constitue pas un pré requis.
Les mécanismes existants de restructuration de la dette (tels que le Club de Paris) fonctionnent sans aucune base explicite en droit international. Ils reposent sur la seule volonté politique des créanciers et exploitent l’absence de mécanismes alternatifs. Un mécanisme multilatéral de restructuration de la dette souveraine doit être indépendant de toute institution créancière pour garantir un large soutien en faveur de ses décisions et le respect de ces dernières.
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