vendredi 22 mars 2019
Le 21 mars 2019, le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies a adopté une résolution sur les effets de la dette extérieure sur les droits de l’homme qui encourage les gouvernements et les institutions financières internationales à tenir compte des nouveaux principes directeurs sur les études d’impact des réformes économiques sur les droits de l’homme dans les réformes économiques qu’ils mettent en place. Si elle est mise en œuvre, cette résolution pourra avoir des répercussions très positives sur la prévention et la gestion des crises de la dette. Bien qu’adoptée avec une majorité de votes favorables, elle n’a toutefois pas remporté de votes favorables de la part des États membres de l’Union européenne, pourtant directement concernés par sa mise en œuvre.
Les niveaux d’endettement sans précédent atteints dans le monde
[1], associés à la croissance des inégalités, ont mis en exergue le besoin urgent de prendre pleinement en compte les impacts négatifs potentiels et réels des ajustements budgétaires et des politiques d’austérité sur les droits humains et le développement. Ces politiques, mises en œuvre pour éviter les réactions négatives du marché et restaurer la viabilité des finances publiques et la stabilité macroéconomique, entraînent de graves répercussions politiques et sociales, alors qu’elles ont par ailleurs un impact discutable sur la croissance [2].
En 2017, l’OIT a déclarait que « les réformes d’austérité ou d’assainissement budgétaire à court terme sapent les efforts de développement à long terme » dans le monde entier » [3]. Le département de la recherche du FMI a de son côté reconnu que les épisodes d’assainissement budgétaire avaient tendance à accentuer l’inégalité des revenus et a commencé à envisager de mener des études d’impact de ses propres conseils en matière de politique économique [4]. Les impacts négatifs des mesures d’austérité sur les populations vulnérables [5] - et en particulier sur les femmes [6] - sont depuis longtemps mis en lumière par les agences de l’ONU.
Autant de raisons pour lesquelles, lors du Forum sur le financement du développement des Nations Unies de 2018, les dirigeants d’institutions multilatérales telles que le FMI ou le PNUD, ont identifié la nouvelle vague de crises de la dette comme principale menace à la réalisation des Objectifs du Développement Durable (ODD).
Ces principes directeurs ont été élaborés par l’Expert indépendant Juan Pablo Bohoslavsky, à la demande du Conseil des Droits de l’Homme, et sont le résultat de deux années de consultations avec les États, les institutions financières internationales, la société civile, les syndicats et des experts des droits humains.
Ils mettent en exergue les implications des normes internationales existantes relatives aux droits humains sur les réformes économiques. S’appuyant sur les orientations et outils existants, ils montrent comment les réformes envisagées par les décideurs peuvent être évaluées par rapport à ces normes, via des études d’impact sur les droits de l’homme, et prônent un recours systématique à de telles études pour orienter l’élaboration des politiques visant notamment à rétablir la viabilité de la dette et la stabilité macroéconomique, à la fois en termes de prévention et de réponse aux situations de crise.
Ces principes n’établissent pas de nouvelles normes de droits humains, mais des orientations pour aider les États et autres parties prenantes à concevoir, mettre en œuvre et suivre les réformes afin de garantir la protection des droits humains.
Les nouveaux principes directeurs constituent un outil pratique pour aider les gouvernements et les institutions financières internationales à identifier des alternatives crédibles aux mesures d’assainissement budgétaire qui portent atteinte aux droits humains, à la fois pour prévenir et pour répondre aux situations de crise.
L’intégration d’études d’impact sur les droits humains dans le cycle de gestion de la dette et d’élaboration des politiques économiques, doit permettre d’éviter des décisions ayant des conséquences préjudiciables pour les droits humains.
Hors période de crise, les conclusions des études d’impact peuvent servir à l’élaboration de politiques visant à protéger et à étendre de manière proactive les droits humains ; à éclairer les stratégies de gestion de la dette afin d’empêcher l’accumulation d’un fardeau insoutenable susceptible de compromettre les obligations légales des États débiteurs en matière de droits humains et les objectifs de développement.
En temps de crise, l’intégration de cette approche dans la gestion de la dette et la planification de la politique budgétaire aide à identifier les mesures politiques les moins restrictives pour la jouissance des droits, et fournit une base pour soutenir les gouvernements débiteurs dans leurs négociations avec les institutions financières internationales et les créanciers, renforçant ainsi les arguments en faveur de la sauvegarde de la marge de manœuvre budgétaire nécessaire.
Outre qu’elle encourage les États et institutions internationales à avoir recours aux principes directeurs dans leur politique de gestion de la dette, la résolution adoptée par le Conseil des Droits de l’Homme appelle également les pays industrialisés à appliquer le programme renforcé d’allègement de la dette et à annuler toutes les dettes publiques bilatérales des pays visés par ces programmes, et à « ne pas reproduire les politiques d’ajustement structurel antérieures qui n’ont pas fonctionné ».
Bien qu’adoptée à la majorité des voix [7], cette résolution n’a pas été votée par les États membres de l’Union européenne, auxquels la PFDD avait adressé, avec 37 autres organisations européennes de la société civile, une lettre commune.
La mise en œuvre des principes directeurs va nécessiter un engagement politique des États à travers le monde, et les États européens, qui se sont engagés à adopter une approche du développement basée sur les droits humains, sont directement concernés par cet engagement.
Face à la multiplication des signaux démontrant que les mesures d’austérité contribuent à l’augmentation des inégalités et à l’instabilité politique, les Etats ont la responsabilité de mettre en œuvre ces principes qui contribueront au respect des droits humains et favoriseront l’élaboration de politiques économiques au service du développement, et de signifier que les allègements de dette ne doivent pas rimer avec une réduction de la dignité humaine.
[1] Voir par exemple : UNCTAD, Financing for development : Debt and debt sustainability and interrelated systemic issues, TD/B/EFD/2/2, (5 October 2018)
[2] Voir par exemple, A. Fatás, L. Summers, The permanent effects of fiscal consolidation, Journal of International Economics Volume 112, May 2018, Pages 238-250
[3] Voir : OIT, World Social Protection Report 2017–19 : Universal social protection to achieve the Sustainable Development Goals, (ILO : Geneva, 2017), pg. xxxiv
[5] I. Ortiz, J. Chai & M. Cummins, Austerity measures threaten children and poor households, Social and Economic policy working paper (UNICEF, 2011)
[6] V. Nationen, ed., Transforming Economies, Realizing Rights, Progress of the World’s Women 2015–2016, (New York : UN Women, 2015)
[7] La résolution a été adoptée à 27 voix pour (Angola, Bahreïn, Bangladesh, Burkina Faso, Cameroun, Chili, Chine, Cuba, RDC, Egypte, Erythrée, Fidji, Inde, Irak, Népal, Nigéria, Pakistan, Philippines, Qatar, Rwanda, Arabie Saoudite, Sénégal, Somalie, Afrique du Sud, Togo, Tunisie, Uruguay) , 14 voix contre (Australie, Autriche, Brésil, Bulgarie, Croatie, République Tchèque, Danemark, Hongrie, Italie, Japon, Slovaquie, Espagne, Ukraine et Royaume-Uni) et 6 abstentions (Afghanistan, Argentine, Bahamas, Islande, Mexique et Pérou).
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