jeudi 12 novembre 2020
La Zambie, qui consacre quatre fois plus de ressources au paiement de sa dette extérieure qu’au secteur de la santé, et dont 88% de la population vit avec moins de 4,7 Euros/jour, pourrait devenir samedi, le premier pays d’Afrique à faire défaut sur sa dette souveraine depuis le début de la pandémie de COVID-19. Ses créanciers privés, qui refusent de lui accorder une suspension sur le paiement des intérêts de ses obligations, pourraient de leur côté enregistrer jusqu’à 250% de profits sur le paiement des obligations qu’ils détiennent.
Alors qu’ils avaient jusqu’à mercredi pour se prononcer sur la demande faite par la Zambie de suspendre pendant six mois le paiement des intérêts sur ses Eurobonds, afin de lui permettre de faire face aux impacts de la pandémie, les créanciers détenteurs d’obligations du pays seraient opposés à cette demande [1].
Dès septembre, la Zambie avait averti qu’elle ne serait pas en mesure de s’acquitter de ses obligations sans un accord de ses créanciers privés sur une suspension. Le 14 octobre, elle avait ainsi été dans l’incapacité de payer les intérêts de ses trois émissions obligataires pour 42,5 millions de dollars. Disposant d’un délai de grâce de 30 jours, le défaut sur ces paiements n’interviendrait toutefois que le 14 novembre, si le pays ne s’acquitte pas de ses obligations à cette date.
La Zambie fait partie des pays pauvres bénéficiaires de l’Initiative de Suspension du Service de la Dette (ISSD) lancée par le G20 en avril dernier. Mais ce moratoire ne lui a été accordé que par ses créanciers bilatéraux, détenteurs de 32% de sa dette, alors que ses créanciers privés, qui détiennent près de 50% sa dette extérieure, ne sont pas liés par ce moratoire. C’est l’une des principales limites de l’initiative, qu’Eurodad et la PFDD dénonçaient en octobre dernier dans un rapport d’analyse publié à l’occasion de la réunion des ministres des Finances du G20 [2].
D’après les estimations de la Jubilee Debt Campaign, si les détenteurs d’obligation de l’État zambien étaient remboursés en intégralité, comme ils le réclament, ils pourraient engranger des profits allant de 75 à 250% par rapport au prix qu’ils ont payé pour ces obligations.
En effet, depuis 2013, les obligations zambiennes dont le remboursement est prévu en 2022, ont été achetées et vendues pour une valeur inférieure à leur valeur faciale, parce que les spéculateurs craignaient déjà un défaut de paiement du pays. Depuis août 2018, les obligations ont été rachetées à 70% de leur valeur et jusqu’à 30% de leur valeur faciale en mars dernier. Elles sont actuellement vendues à 45% de leur valeur.
Un créancier ayant acheté des obligations 2022 en août 2018 pourrait donc faire 75% de profit s’il est payé entièrement (principal et intérêts). Les mêmes obligations achetées en mars 2020 lui permettront d’engranger des profits de 200%. Et un créancier qui achète aujourd’hui des obligations du pays dont le remboursement est prévu en 2027, peur espérer faire 250% de profit s’il est entièrement remboursé !
Les obligations de l’État zambien ont été contractées à des taux élevés (entre 5,3 et 8,9 %) parce qu’il s’agissait de prêts risqués. Beaucoup des détenteurs actuels d’obligations ont acheté ces titres à bas prix, justement parce qu’ils s’attendaient à ce que la Zambie ne soit pas en capacité de rembourser entièrement ses dettes.
Ce risque s’est aujourd’hui concrétisé, et les détenteurs d’obligations devraient donc accepter une décote importante sur les créances qu’ils détiennent. Il serait indécent que les créanciers privés du pays, non seulement ne soient pas contraints de participer aux initiatives internationales lancées par les créanciers publics bilatéraux pour répondre à la crise de la COVID-19 dans les pays pauvres, mais mais en plus soient autorisés à faire de gigantesques profits sur leur dos.
[1] "Zambia Nears Default With Bondholders Set to Refuse Relief", Bloomberg, 10 novembre 2020
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