La nature évolutive de la dette des pays en développement et solutions pour le changement

Document d’analyse d’Eurodad

vendredi 15 juillet 2016

Ce document d’analyse Eurodad est publié alors que les conséquences de la dernière crise financière mondiale, qui a débuté il y a presque dix ans, se font toujours ressentir dans de nombreux pays. Au même moment, une nouvelle crise
de la dette, provoquée par des flux de capitaux volatiles et une chute du prix des matières premières, a déjà touché certains pays des régions en développement.

Dans les pays en développement, le poids de la dette a atteint des sommets record. Lorsque les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) ont été adoptés en 2000, les pays en développement se sont vus mis au défi de financer la mise en œuvre de ces objectifs tout en assumant une dette extérieure s’élevant à 1400 milliards d’USD. Maintenant que les Objectifs de développement durable (ODD), dont la portée est beaucoup plus vaste mais qui sont également plus coûteux, ont été adoptés, ces pays doivent ajouter le financement de ces objectifs au service d’une dette contractée par des débiteurs privés et publics et dont le montant a entre-temps triplé pour atteindre les 5400 milliards d’USD. Le service de ces dettes en cours coûte 575 milliards d’USD par an aux pays en développement.

Étant donné que la plupart des économies concernées se sont fortement développées au cours des 15 dernières années, la portion du revenu national ou de la recette d’exportation que représente la charge de la dette a diminué. Cette diminution découle en partie des initiatives d’allègement de la dette lancées au cours des premières années de mise en œuvre des OMD. Ces initiatives ne pourront cependant pas appuyer la mise en œuvre des ODD car elles n’existent plus. Si le poids relatif des dettes a chuté entre 2000 et 2010, la tendance s’est ensuite inversée. Ainsi, depuis 2011, la dette grimpe, même lorsqu’elle est estimée sous forme de ratios. Le plus frappant reste cependant les changements en termes de composition et d’instruments de la dette.

Dans les pays en développement, la dette publique provient de plus en plus d’emprunts contractés auprès de prêteurs privés. Cette tendance minimise le rôle des prêteurs publics, et plus particulièrement des prêteurs bilatéraux, qui ne représentent plus que 16 % de l’encours de la dette, contre un pourcentage presque deux fois plus élevé auparavant (33 %). Les prêteurs privés ont eux aussi changé : les obligations ont détrôné les emprunts en tant que forme prédominante d’emprunt à des prêteurs privés. Simultanément, la proportion d’obligations a doublé, passant de 21 à 42 % de l’encours de la dette. Depuis 2004, 23 pays ont commencé à lancer des obligations sur les marchés financiers. Les prêts et emprunts nationaux sont également à la mode, tout comme les prêts octroyés par de nouveaux créanciers publics issus d’économies émergentes.

La nature évolutive de la dette implique que les nouvelles crises de la dette seront différentes des crises précédentes. Une pléthore de porteurs d’obligations et d’investisseurs d’origines diverses s’est mise à octroyer des prêts à des pays qui jusqu’ici ne pouvaient emprunter qu’à une poignée de banques privées et publiques. L’ancien régime de gestion de la dette, dont a hérité le programme de développement durable (à l’horizon 2030), n’a jamais vraiment permis de mettre les emprunts au profit du développement, de prévenir les crises de la dette ou de résoudre ces dernières de façon équitable, rapide, et durable. La mauvaise nouvelle, c’est que la situation ne fait qu’empirer.

Certaines institutions spécialisées ont été créées à une époque où la dette provenait principalement de créanciers publics. Il s’est avéré que ces institutions, dont le rôle était de gérer la problématique de la crise, travaillaient bien trop lentement et étaient sous la coupe des créanciers. Au final, elles ont causé bien des torts.
Certains prêteurs ont mis en place des mesures de sauvegarde afin d’éviter ces torts. On compte parmi les exemples les mesures de sauvegarde de la Banque mondiale ou le Cadre de viabilité de la dette du Fonds monétaire international (FMI). Cependant, les sommes provenant de ces prêteurs représentent une portion décroissante du financement total reçu par les débiteurs. Aujourd’hui, l’institution prépondérante dans le domaine de la résolution des crises de la dette est le Club de Paris. Le type de dette auquel s’intéresse ce groupe de créanciers publics bilatéraux représente toutefois une portion décroissante de la dette totale, et donc des problèmes que celle-ci implique.

Une proportion croissante de crédits n’est couverte par aucune forme de réglementation en vigueur et tombe donc dans un vide réglementaire. Si la configuration de la dette a considérablement changé, les institutions chargées
de prévenir et de résoudre les crises de la dette n’ont pas réussi à se moderniser en conséquence. Le nombre croissant de créanciers représentant différents types
de dette rend la mise en place d’une solution globale et coordonnée de plus en plus difficile.La nature évolutive de la dette implique qu’il est nécessaire de trouver des solutions adaptées à la situation actuelle afin d’évoluer vers un régime de gestion de la dette qui permettra aux pays concernés de continuer à se développer tout en mettant au point un système de prévention et de résolution des crises de la dette capable de s’attaquer à l’ensemble de l’encours de la dette (dette des secteurs privé et public, extérieure comme intérieure). La bonne nouvelle, c’est que ça ne date pas d’hier.

Beaucoup d’efforts ont déjà été fournis afin de concevoir des régimes de gestion de la dette qui favoriseraient le développement des pays concernés en ce 21e siècle. Nous retiendrons trois procédés visant la mise en place d’un tel régime à l’échelle internationale :

• Le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a adopté des Principes directeurs relatifs à la dette extérieure et aux droits de l’homme afin d’augmenter la contribution des prêts au développement et de protéger le peuple et ledit développement des dommages que peut causer la dette.

• La Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) s’est basée sur des concepts développés auparavant par des organisations de la société civile telles qu’Eurodad pour créer des Principes pour la promotion de prêts et d’emprunts souverains responsables afin d’augmenter la contribution des prêts au développement et d’éviter les crises de la dette.

• Les Nations Unies et le FMI ont quant à eux tenté de mettre au point un régime d’insolvabilité pour les débiteurs souverains (en d’autres termes, un mécanisme de résolution de la dette pour les États) afin de résoudre les crises de la dette de façon équitable, rapide et durable.

La prochaine étape consiste principalement à surmonter les blocages politiques en place afin de mettre en pratique ces propositions. L’établissement d’un régime est un processus laborieux. En fonction des opportunités politiques qui y sont liées, les innovations peuvent se produire progressivement ou par coups d’éclat ; elles peuvent découler d’un accord international ou être réalisées à l’échelle nationale et prendre de l’ampleur jusqu’à atteindre, par la suite, l’échelle internationale. Dans tous les cas de figure, l’action citoyenne jouera un rôle clé.

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